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LA RÉVOLUTION


sont ainsi entassés, et l’on craint toujours qu’ils ne s’échappent ; « on coupe leur pain et leur viande par morceaux pour voir si rien n’y est enfermé ; on interdit l’accès à des chirurgiens que l’on traite aussi d’aristocrates ». En même temps les maisons sont visitées de nuit ; ordre à tout étranger de venir à l’hôtel de ville pour donner les motifs de sa résidence et déposer ses armes ; défense à tout prêtre insermenté de dire la messe. Le département, qui voudrait résister, a la main forcée, et confesse son impuissance. « Le peuple, écrit-il, connaît sa force, il sait que nous n’en avons aucune : agité par les mauvais citoyens, il se permettra tout ce qui servira sa passion ou son intérêt ; il influencera nos délibérations, et nous arrachera celles que, dans une position différente, nous nous serions bien gardés de prendre. » — Trois jours après, les vainqueurs célèbrent leur triomphe : « avec tambours, musique et flambeaux allumés, le peuple va détruire à coups de marteau les armes qui étaient sur les hôtels et qui avaient été ci-devant enduites de plâtre » ; la défaite des aristocrates est achevée. — Pourtant leur innocence est si manifeste que l’Assemblée législative elle-même n’a pu s’empêcher de la reconnaître. Après onze semaines de détention, ordre est donné de les élargir, sauf deux, un jeune homme de moins de dix-huit ans et un vieillard presque octogénaire, sur lesquels deux lettres mal entendues laissent encore planer l’ombre d’un soupçon. — Mais il n’est pas sûr que le peuple veuille les rendre. La garde nationale a