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L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


« nation[1]. ». Si on lui a concédé la nomination des ministres, c’est en alléguant que « des ministres nommés par le peuple seraient nécessairement trop estimés ». — Il est de principe que « le corps législatif doit seul avoir la confiance du peuple », que l’autorité royale corrompt son dépositaire, que le pouvoir exécutif est toujours tenté d’abuser et de conspirer. Si on l’introduit dans la Constitution, c’est à regret, par nécessité, à condition de l’envelopper d’entraves : il sera d’autant moins nuisible qu’il sera plus restreint, plus surveillé, plus intimidé et plus dénoncé. — Visiblement un pareil rôle était intolérable, et il fallait un homme aussi passif que Louis XVI pour s’y résigner. Mais, quoi qu’il fasse, il ne peut le rendre tenable. Il a beau s’y renfermer scrupuleusement et exécuter la Constitution à la lettre ; parce qu’il est impuissant, l’Assemblée le juge tiède et lui impute les tiraillements d’une machine qu’il ne mène pas. S’il ose une fois se servir de son veto, c’est rébellion, rébellion d’un fonctionnaire contre son supérieur qui est l’Assemblée, rébellion d’un sujet contre son souverain qui est le peuple. En ce cas sa déchéance est de droit ; l’Assemblée n’a plus qu’à la prononcer : le peuple n’a plus qu’à l’exécuter, et la Constitution aboutit à une révolution. — Un pareil mécanisme se détruit par son propre jeu. Conformément à la théorie philosophique, on a voulu séparer les deux rouages du gouvernement ; pour cela il a fallu les dessouder et les isoler l’un de l’autre.

  1. Discours de Barnave et de Rœderer à l’Assemblée constituante. — Discours de Barnave et de Duport aux Jacobins.