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LA RÉVOLUTION


munitions, le château renferme deux barils de poudre qui s’y trouvaient avant 1789, sept mousquetons et cinq sabres de cavalerie que les anciens dragons de M. de Bussy y ont laissés en passant ; ajoutez-y deux fusils de chasse doubles, trois fusils de munition, cinq paires de pistolets, deux mauvais fusils simples, deux vieilles épées, un couteau de chasse : voilà toute la garnison, tout l’arsenal, et ce sont ces préparatifs si justifiés, si bornés, que le préjugé, joint aux commérages, va transformer en un grand complot.

En effet, dès le premier jour, le village a soupçonné le château ; tous ses hôtes, toutes leurs entrées et sorties, tous leurs tenants et aboutissants ont été espionnés, dénoncés, grossis et défigurés. Si, par la maladresse ou l’imprudence de tant de gardes nationaux improvisés, un jour, en plein midi, une balle égarée est arrivée dans une grange, elle vient du château ; ce sont les aristocrates qui ont tiré sur les paysans. — Mêmes soupçons dans les villes voisines. La municipalité de Valence, ayant appris que deux jeunes gens font faire des habits « dont la couleur paraît suspecte », mande le tailleur ; celui-ci avoue et ajoute « qu’on s’est réservé de mettre les boutons ». Un tel détail est alarmant. L’enquête s’ouvre et accroît les alarmes : on a vu passer des gens en uniforme inconnu, ils vont au château de Villiers ; de là, quand ils seront deux cents, ils iront rejoindre la garnison de Besançon ; ils voyageront quatre par quatre pour dérouter la surveillance. À Besançon, ils trouveront un corps de quarante mille hommes