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LA CONSTITUTION APPLIQUÉE


les autres impôts ou redevances que nous ne payons plus malgré la loi ! Si tant de nobles dont on a brûlé les châteaux ou qui, le couteau sur la gorge, ont donné quittance de leurs rentes, trouvaient moyen de se venger et de rentrer dans leurs anciens droits ! Certainement, ils y songent, ils s’entendent entre eux, ils complotent avec l’étranger ; au premier jour, ils vont fondre sur nous ; il faut les surveiller, les réprimer et au besoin les détruire. — Dès les premiers jours, ce raisonnement instinctif a prévalu, et, à mesure que la licence augmente, il prévaut davantage. Le seigneur est toujours le créancier passé, présent, futur, ou tout au moins possible, c’est-à-dire le pire et le plus odieux ennemi. Toutes ses démarches sont suspectes, et jusqu’à son oisiveté même ; quoi qu’il fasse, c’est pour s’armer. — À une lieue de Romans, en Dauphiné[1], M. de Gilliers, établi là avec sa sœur et sa femme, s’amusait à planter des arbres et des fleurs ; à quinze pas de sa maison, dans une autre campagne, M. de Montchorel, vieux militaire, M. Osmond, vieil avocat de Paris, avec leurs femmes et leurs enfants, occupaient leurs loisirs à peu près de même. M. de Gilliers ayant fait venir des tuyaux de bois pour conduire l’eau, le bruit se répand que ce sont des canons. Son hôte, M. Servan, reçoit une malle de voyage à l’anglaise ; on dit qu’elle est pleine de pistolets. M. Osmond et M. Servan s’étant promenés dans la campagne avec du papier à dessiner et

  1. Rivarol, Mémoires, 367 (lettre de M. Servan, publiée dans les Actes des Apôtres).