Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 4, 1910.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
145
LA CONSTITUTION APPLIQUÉE


département, « on tue, on assassine les municipaux » qui ont la hardiesse de publier les rôles de la contribution mobilière. Dans la Creuse, à Clugnac, au moment où le greffier en donne lecture, des femmes se jettent sur lui, lui arrachent le rôle, « le déchirent avec mille imprécations » ; le conseil municipal est assailli ; deux cents personnes lui lancent des pierres ; un de ses membres est renversé ; on lui rase les cheveux, et on le promène avec dérision dans le village. — Quand le petit contribuable se défend ainsi, on est averti de le ménager. Aussi bien, dans ces conseils de villageois, la répartition se fait de compère à compère. On se décharge en chargeant autrui : « on taxe les propriétaires ; on veut leur faire supporter tout l’impôt ». Surtout on taxe à outrance le noble, l’ancien seigneur, tellement qu’en plusieurs endroits son revenu ne suffit pas à payer sa cote. — D’autre part, on se fait pauvre ; on fausse ou l’on esquive les prescriptions de la loi. « Dans la plupart des municipalités, les maisons, bâtiments, usines[1], ne sont évalués qu’en raison de la valeur de la superficie, estimée comme terre de première classe, ce qui réduit leur cote à presque rien. » Et cette fraude n’a pas été pratiquée seulement dans les villages. « On pourrait citer des communes de huit à dix mille âmes de population, qui se sont si bien concertées à cet égard, qu’il ne s’y trouve point de maison estimée au-dessus de cinquante sous. » — Dernier expédient :

  1. Rapport au Comité des finances, par Ramel, 19 floréal an ii. (La Constituante avait fixé la contribution foncière d’une maison au sixième de sa valeur locative.)