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LA RÉVOLUTION


avait préparé une cérémonie touchante : il y avait des jeunes filles en blanc ; des magistrats lettrés et sensibles devaient prononcer des harangues philosophiques. Voilà qu’ils découvrent que le peuple rassemblé sur la place s’est muni de bâtons, de faux et de haches, et que la garde nationale ne l’empêchera pas de s’en servir ; au contraire, car elle aussi se compose presque tout entière de vignerons et de gens intéressés à la suppression des droits sur le vin, tonneliers, aubergistes, cabaretiers, ouvriers en futailles, charretiers des tonneaux, et autres de la même espèce, rudes gaillards qui entendent le contrat social à leur façon. Tant de décrets, d’arrêtés et de phrases qu’on leur expédie de Paris ou que leur débitent les autorités nouvelles ne valent pas un sou d’impôt maintenu sur chaque bouteille de vin. Plus de droits d’aides : ils ne font le serment civique qu’à cette condition expresse, et, le soir, ils pendent en effigie leurs deux députés, qui, à l’Assemblée nationale, « n’ont pas soutenu leurs intérêts ». Quelques mois plus tard, de toute la garde nationale convoquée pour protéger les commis, il ne vient à l’appel que le commandant et deux officiers. — S’il se rencontre un contribuable docile, on ne lui permet même pas de payer les droits ; cela semble une défection, presque une trahison. Trois

    vignerons brûlèrent les archives, les bureaux des droits et traînèrent dans les rues un employé, en disant à chaque réverbère : « Il faut le pendre. » Le général, envoyé pour réprimer l’émeute, n’entra que par capitulation ; au moment où il arrivait à l’hôtel de ville, un homme du faubourg de Rome lui passa sa grosse serpe au cou en disant : « Plus de commis, ou il n’y a rien de fait. »