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LA CONSTITUTION APPLIQUÉE


maisons isolées sont leur proie. Aux environs de Versailles, le 26 septembre 1791, un ecclésiastique a été tué chez lui ; le même jour, un bourgeois et sa femme ont été garrottés, puis volés. Le 22 septembre, près de Saint-Remy-l’Honoré, huit bandits ont fait leur main chez un fermier. Le 25 septembre, à Villiers-le-Sec, treize autres ont dévalisé un autre fermier, puis ajouté en manière de compliment : « Vos maîtres sont bien heureux de ne pas se trouver ici ; nous les aurions grillés au grand feu que voilà ». En moins d’un mois, dans un rayon de trois ou quatre lieues, il y a six attaques semblables, à main armée, à domicile, avec des propos de chauffeurs. « Après des entreprises aussi fortes et aussi audacieuses, écrivent les gens du pays, il n’est pas un habitant de la campagne un peu aisé qui puisse compter sur une heure de sûreté chez lui. Déjà plusieurs de nos meilleurs cultivateurs abandonnent leur exploitation, et d’autres menacent d’en faire autant, si ces désordres continuent. » — Ce qui est plus grave encore, c’est que, dans ces attaques, la plupart de ces bandits étaient « en uniforme national ». Ainsi la portion la plus indigente, la plus ignorante et la plus exaltée de la garde nationale s’enrôle pour le pillage. Il est si naturel de croire que l’on a droit à ce dont on a besoin, que les possesseurs du blé en sont les accapareurs, que le superflu des riches appartient aux pauvres ! C’est ce que disent les paysans qui dévastent la forêt de Bruyères-le-Châtel : « Nous n’avons ni bois, ni pain, ni travail ; nécessité n’a pas de loi. »