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LA RÉVOLUTION


quelques centaines d’hommes, pour faire une faction ou une bande qui se lance à travers les fils dénoués ou fragiles du gouvernement passif ou méconnu. Une grande expérience va se faire sur la société humaine : grâce au relâchement des freins réguliers qui la maintiennent, on pourra mesurer la force des instincts permanents qui l’attaquent. Ils sont toujours là, même en temps ordinaire ; nous ne les remarquons point, parce qu’ils sont refoulés, mais ils n’en sont pas moins actifs, efficaces, bien mieux, indestructibles. Sitôt qu’ils cessent d’être réprimés, leur malfaisance se déclare comme celle de l’eau qui porte une barque et qui, à la première fissure, entre pour tout submerger.

I

Et d’abord ce n’est pas avec des fédérations, des embrassades, des effusions de fraternité, que l’on contiendra les passions religieuses. Dans le Midi, où les protestants sont persécutés depuis plus d’un siècle, il y des haines vieilles de cent ans[1]. — Vainement les édits odieux qui les opprimaient sont depuis vingt ans tombés en désuétude. Vainement, depuis 1787, tous les droits civils leur ont été restitués. Le passé survit dans les souvenirs qui le transmettent, et deux groupes sont en face l’un de l’autre, celui des protestants et celui

  1. Mot de Jeanbon-Saint-André à Mathieu Dumas, envoyé pour rétablir la paix à Montauban (1790) : « C’est le jour de la vengeance et nous l’attendons depuis cent ans. » (Mémoires de Mathieu Dumas.)