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LA RÉVOLUTION


devrait ménager et guider. Mais, à tout prendre, quoi qu’il fasse, il fait encore plus de bien que de mal ; car c’est par lui que le corps se tient debout, marche et coordonne ses pas. Sans lui, point d’action réfléchie, agencée, et qui soit utile à l’animal entier. En lui seul sont les vues d’ensemble, la connaissance des membres et de leur jeu, la notion du dehors, l’information exacte et complète, la prévoyance à longue portée, bref la raison supérieure qui conçoit l’intérêt commun et combine les moyens appropriés. S’il défaille et n’est plus obéi, s’il est froissé et faussé du dehors par une pression brutale, la raison cesse de conduire les affaires publiques, et l’organisation sociale rétrograde de plusieurs degrés. Par la dissolution de la société et par l’isolement des individus, chaque homme est retombé dans sa faiblesse originelle, et tout pouvoir appartient aux rassemblements temporaires qui, dans la poussière humaine, se soulèvent comme des tourbillons. — Ce pouvoir que les hommes les plus compétents ont peine à bien appliquer, on devine comment des bandes improvisées vont l’exercer. Il s’agit des subsistances, de leur possession, de leur prix et de leur distribution, de l’impôt, de sa quotité, de sa répartition et de sa perception, de la propriété privée, de ses espèces, de ses droits et de ses limites, de l’autorité publique, de ses attributions et de ses bornes, de tous les rouages engrenés et délicats qui composent la grande machine économique, sociale et politique ; sur ceux qui sont à portée, chaque bande dans son canton porte ses mains grossières, les tord ou