Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 3, 1909.djvu/90

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
76
LA RÉVOLUTION


contre lui. « Quoiqu’il n’ait jamais acheté ni vendu un seul grain de blé », on l’appelle accapareur ; aux yeux de la multitude qui a besoin d’expliquer le mal par un méchant, il est l’auteur de la famine. Conduit à l’Abbaye, son escorte est dispersée ; on le pousse vers la lanterne. Alors, se voyant perdu, il arrache un fusil aux meurtriers et se défend en brave. Mais un soldat de Royal-Cravate lui fend le ventre d’un coup de sabre ; un autre lui arrache le cœur. Par hasard, le cuisinier qui a coupé la tête de M. de Launey se trouvant là, on lui donne le cœur à porter, le soldat prend la tête, et tous deux vont à l’Hôtel de Ville pour montrer ces trophées à M. de la Fayette. De retour au Palais-Royal et attablés dans un cabaret, le peuple leur demande ces deux débris ; ils les jettent par la fenêtre, et achèvent leur souper, tandis qu’au-dessous d’eux on promène le cœur dans un bouquet d’œillets blancs. — Voilà les spectacles que présente ce jardin où, l’année précédente, « la bonne compagnie en grande parure » venait causer au sortir de l’Opéra ; et parfois, jusqu’à deux heures du matin, sous la molle clarté de la lune, écoutait tantôt le violon de Saint-Georges, tantôt la voix délicieuse de Garat.

VIII

Désormais il est clair qu’il n’y a plus de sécurité pour personne : ni la nouvelle milice, ni les nouvelles autorités ne suffisent à faire respecter la loi. « On n’osait