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LA RÉVOLUTION


sonnes désignées, le comte d’Artois, le maréchal de Broglie, le prince de Lambesc, le baron de Besenval, MM. de Breteuil, Foullon, Bertier, Maury, d’Esprémenil, Lefèvre d’Amécourt, d’autres encore[1] ; une récompense est promise à qui apportera leurs têtes au café du Caveau. Voilà des noms pour la foule lâchée ; il suffira maintenant qu’une bande rencontre l’homme dénoncé ; il ira jusqu’à la lanterne du coin, mais non au delà. — Toute la journée du 14, le tribunal improvisé siége en permanence, et achève ses arrêtés par ses actes. — M. de Flesselles, prévôt des marchands et président des électeurs à l’Hôtel de Ville, s’étant montré tiède[2], le Palais-Royal le déclare traître, et l’envoie prendre ; dans le trajet, un jeune homme l’abat d’un coup de pistolet, les autres s’acharnent sur son corps, et sa tête, portée sur une pique, va rejoindre celle de M. de Launey. — Des accusations aussi meurtrières et aussi proches de l’exécution flottent dans l’air et de toutes parts. « Sous le moindre prétexte, dit un électeur, on nous dénonçait ceux que l’on croyait contraires à la Révolution, ce qui signifiait déjà ennemis de l’État. Sans autre examen, on ne parlait de rien moins que de saisir leurs personnes, d’abîmer leurs maisons, de raser leurs hôtels. Un jeune homme s’écria : Qu’à l’instant on me suive, et marchons chez Besenval ! » — Les cerveaux sont si effarouchés et les esprits si défiants, qu’à chaque pas dans la rue « il faut

  1. Montjoie, 3e partie, 85. — Dusaulx, 287, 355, 368.
  2. Rien de plus. Nul témoin n’affirme avoir vu son prétendu billet à M. de Launey. D’après Dusaulx, il n’aurait eu ni le temps ni le moyen de l’écrire.