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L’ANARCHIE SPONTANÉE


« pour la montrer au public », et l’on invite l’homme qui a reçu le coup de pied à la couper lui-même. — Celui-ci, cuisinier sans place, demi-badaud qui est « allé à la Bastille pour voir ce qui s’y passait », juge que, puisque tel est l’avis général, l’action est « patriotique » et croit même « mériter une médaille en détruisant un monstre ». Avec un sabre qu’on lui prête, il frappe sur le col nu ; mais le sabre, mal affilé, ne coupant point, il tire de sa poche un petit couteau à manche noir, et, « comme, en sa qualité de cuisinier, il sait travailler les viandes », il achève heureusement l’opération. Puis, mettant la tête au bout d’une fourche à trois branches et accompagné de plus de deux cents personnes armées, sans compter la populace », il se met en marche, et, rue Saint-Honoré, il fait attacher à la tête deux inscriptions pour bien indiquer à qui elle était. — La gaieté vient : après avoir défilé dans le Palais-Royal, le cortège arrive sur le pont Neuf ; devant la statue de Henri IV, on incline trois fois la tête, en lui disant : « Salue ton maître ». — C’est la plaisanterie finale : il y en a dans tout triomphe, et, sous le boucher, on voit apparaître le gamin.

VII

Cependant, au Palais-Royal, d’autres gamins, qui, avec une légèreté de bavards, manient les vies aussi librement que les paroles, ont dressé dans la nuit du 13 au 14 une liste de proscription dont ils colportent les exemplaires ; ils prennent soin d’en adresser un à chacune des per-