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LA RÉVOLUTION


« s’est rendue avant même d’avoir été attaquée[1] », par capitulation, sur la promesse qu’il ne serait fait de mal à personne. La garnison, trop bien garantie, n’avait plus le cœur de tirer sans péril sur des corps vivants[2], et, d’autre part, elle était troublée par la vue de la foule immense. Huit ou neuf cents hommes seulement[3] attaquaient, la plupart ouvriers ou boutiquiers du faubourg, tailleurs, charrons, merciers, marchands de vin, mêlés à des gardes françaises. Mais la place de la Bastille et toutes les rues environnantes étaient combles de curieux qui venaient voir le spectacle ; parmi eux, dit un témoin[4], « nombre de femmes élégantes et de fort bon air, qui avaient laissé leurs voitures à quelque distance ». Du haut de leurs parapets, il semblait aux cent vingt hommes de la garnison que Paris tout entier débordait contre eux. — Aussi bien ce sont eux qui baissent le pont-levis, qui introduisent l’ennemi : tout le monde a

  1. Marmontel, IV, 317.
  2. Dusaulx, 454. « Les soldats répondirent qu’ils se résigneraient à tout plutôt que de faire périr un si grand nombre de concitoyens. »
  3. Dusaulx, 447. Le nombre des combattants estropiés, blessés, morts et survivants est de huit cent vingt-cinq. — Marmontel, IV, 320. « Au nombre des vainqueurs, qu’on a porté à huit cents, ont été mis des gens qui n’avaient pas approché de la place. »
  4. Souvenirs inédits du chancelier Pasquier, témoin oculaire. Il était appuyé sur la barrière qui fermait le jardin de Beaumarchais, et il regardait, ayant à ses côtés Mlle Contat, l’actrice qui avait laissé sa voiture place Royale. — Marat, l’Ami du peuple, n° 530. « Lorsqu’un concours inouï de circonstances eut fait tomber les murs mal défendus de la Bastille sous les efforts d’une poignée de soldats et d’une troupe d’infortunés, la plupart Allemands et presque tous provinciaux, les Parisiens se présentèrent devant la forteresse : la curiosité seule les y amena. »