Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 3, 1909.djvu/80

Cette page a été validée par deux contributeurs.
66
LA RÉVOLUTION


à la foule, et c’est la foule qui leur commande. Pour sauver l’Hôtel de Ville, l’un d’eux, Legrand, n’a d’autre ressource que de faire apporter six barils de poudre et de déclarer aux envahisseurs qu’il va faire tout sauter. Le commandant qu’ils ont choisi, M. de la Salle, a, pendant un quart d’heure, vingt baïonnettes sur la poitrine, et, plus d’une fois, tout le comité est près d’être massacré. Figurez-vous, dans l’enceinte ou ils parlementent et supplient, « une affluence de quinze cents hommes pressés par cent mille autres qui s’efforcent d’entrer », les boiseries qui craquent, les banquettes qui se renversent les unes sur les autres, l’enceinte du bureau qui est repoussée jusque sur le siège du président, un tumulte à faire croire que c’est « le jour du jugement dernier », des cris de mort, des chansons, des hurlements, « des gens hors d’eux-mêmes, et, pour la plupart, ne sachant où ils sont ni ce qu’ils veulent ». — Chaque district est aussi un petit centre, et le Palais-Royal est le plus grand de tous. De l’un à l’autre roulent les motions, les accusations, les députations, avec le torrent humain qui s’engorge ou se précipite, sans autre conduite que sa pente et les accidents du chemin. Un flot s’amasse ici, puis là : leur stratégie consiste à pousser et à être poussés. Encore n’entrent-ils que parce qu’on les introduit. S’ils pénètrent dans les Invalides, c’est grâce à la connivence des soldats. — À la Bastille, de dix heures du matin à cinq heures du soir, ils fusillent des murs hauts de quarante pieds, épais de trente, et c’est par hasard qu’un de leurs coups atteint sur les