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LA RÉVOLUTION

V

C’est la dictature de la foule attroupée, et ses procédés, conformes à sa nature, sont les voies de fait : sur tout ce qui lui résiste, elle frappe. — Chaque jour, dans les rues et aux portes de l’Assemblée, le peuple de Versailles « vient insulter ceux qu’on appelle aristocrates[1] ». Le lundi 22 juin « d’Esprémenil manque d’être assommé ; l’abbé Maury… ne doit son salut qu’à la vigueur d’un curé qui le prend par le corps, et le jette dans le carrosse de l’archevêque d’Arles ». Le 23, l’archevêque de Paris, le « garde des sceaux sont hués, honnis, conspués, bafoués, à périr de honte et de rage », et la tempête des vociférations qui les accueille est si formidable, que Paporet, secrétaire du roi, qui accompagnait le ministre, en meurt de saisissement le jour même. Le 24, l’évêque de Beauvais est presque assommé d’une pierre à la tête. Le 25, l’archevêque de Paris n’est sauvé que par la vitesse de ses chevaux : la multitude le suit en le lapidant ; son hôtel est assiégé, toutes ses fenêtres sont brisées et, malgré l’intervention des gardes françaises, son péril est si grand, qu’il est contraint de promettre qu’il se réunira aux députés du Tiers. Voilà de quelle façon la rude main populaire opère la réunion des ordres. — Elle pèse aussi impérieusement sur ses représentants que sur ses adversaires. « Quoique notre

  1. Étienne Dumont, Souvenirs, 72. — C. Desmoulins. Lettre du 24 juin. — Arthur Young, 25 juin. — Buchez et Roux, II, 28.