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LA RÉVOLUTION


spéculatives, les plus excitables et les plus excités. Dans ce pèle-mêle de politiques improvisés, nul ne connaît celui qui parle ; nul ne se sent responsable de ce qu’il a dit. Chacun est là comme au théâtre, inconnu parmi des inconnus, avec le besoin d’être ému et transporté, en proie à la contagion des passions environnantes, entraîné dans le tourbillon des grands mots, des nouvelles controuvées, des bruits grossissants, des exagérations par lesquelles les énergumènes vont enchérissant les uns sur les autres. Ce sont des cris, des larmes des applaudissements, des trépignements comme devant une tragédie : tel s’enflamme et s’égosille jusqu’à mourir sur place de fièvre et d’épuisement. Arthur Young a beau être habitué au tapage de la liberté politique, il est étourdi de ce qu’il voit. Selon lui[1], « la fermentation passe toute conception… Nous nous imaginions que les magasins des libraires Debrett ou Stockdale à Londres sont encombrés ; mais ce sont des déserts à côté de celui de Desenne et de quelques autres ; on a peine à se faufiler de la porte jusqu’au comptoir… Chaque heure produit sa brochure ; il en a paru treize aujourd’hui, seize hier et quatre-vingt-douze la semaine dernière. Dix-neuf sur vingt sont en faveur de la liberté ». — Et, par liberté, on entend l’abolition des privilèges, la souveraineté du nombre, l’application du Contrat social, « la République », bien mieux, le nivellement universel, l’anarchie permanente, et même la

  1. Arthur Young, 9, 24, 26 juin. — La France libre, passim, par C. Desmoulins.