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LA RÉVOLUTION

Pour les plus compromis, Paris est le refuge le plus voisin ; pour les plus pauvres et les plus exaspérés, la vie nomade s’ouvre toute grande. Des bandes se forment autour de la capitale, comme dans les contrées où la société humaine n’a pas encore commencé ou a cessé d’être. Dans les premières semaines de mai[1], près de Villejuif, il y en a une de cinq ou six cents vagabonds qui veulent forcer Bicêtre et s’approchent de Saint-Cloud. Il en vient de trente, quarante et soixante lieues, de la Champagne et de la Lorraine, de toute la circonférence du pays ravagé par la grêle. — Tout cela flotte autour de Paris et s’y engouffre comme dans un égout, les malheureux avec les malfaiteurs, les uns pour trouver du travail, les autres pour mendier, pour rôder, sous les suggestions malsaines de la faim et des rumeurs qui s’élèvent dans la rue. Pendant les derniers jours d’avril[2], les commis voient entrer par les barrières « un nombre effrayant d’hommes mal vêtus et d’une figure sinistre ». Dès les premiers jours de mai, on remarque que l’aspect de la foule est changé ; il s’y mêle « une quantité d’étrangers, venus de tous pays, la plupart déguenillés, armés de grands bâtons, et dont le seul aspect annonce tout ce qu’on en doit craindre ». — Déjà, avant cet afflux final, la sentine publique était pleine et regor-

  1. Montjoie, 1re  partie, 92, 101. — Archives nationales, H, 1453. Lettre de l’officier de maréchaussée de Saint-Denis. « Il arrive journellement, tant de la Lorraine que de la Champagne beaucoup d’ouvriers », ce qui va augmenter la disette.
  2. Besenval, Mémoires, I, 353. Cf. L’Ancien régime, t. II, 296, 297. — Marmontel, II, 252 et suivants. — Ferrières, I, 407.