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L’ANARCHIE SPONTANÉE


portent décharge, quittance ou obligation au profit du peuple. À Brignoles, on contraint les propriétaires des moulins à passer un acte de vente par lequel ils cèdent leurs moulins à la commune, moyennant 5000 francs par an, payables dans dix ans, sans intérêts, ce qui les ruine ; à la vue du contrat signé, les paysans poussent des acclamations, et ils ont tant de confiance en ce papier timbré, que sur-le-champ ils font dire une messe d’actions de grâces aux Cordeliers. — Symptômes redoutables et qui indiquent les dispositions intimes, la volonté fixe, l’œuvre future du pouvoir qui surgit. S’il l’emporte, il commencera par détruire les anciens papiers, rôles, titres, contrats, créances qu’il subit par force ; par force aussi, il en fera rédiger d’autres à son profit, et les scribes seront ses députés, ses administrateurs, qu’il tient sous sa rude poigne.

On ne s’en alarme point en haut lieu ; on trouve même que la révolte a du bon, puisqu’elle a forcé les villes à supprimer des taxes injustes[1]. On souffre que les jeunes gens de la nouvelle garde marseillaise aillent à Aubagne « exiger de M. Le lieutenant criminel et de M. L’avocat du roi l’élargissement des prisonniers ».

  1. Archives nationales, H, 1274. Lettre de M. de Caraman, 22 avril : « Il est résulté de ce malheur un bien réel… On a reporté sur la classe aisée ce qui excédait les forces des malheureux journaliers… On s’aperçoit encore d’un peu plus d’attention de la noblesse et des gens aisés pour les pauvres paysans : on s’est accoutumé à leur parler avec plus de douceur. » — M. de Caraman a été blessé, ainsi que son fils, à Aix, et, si les soldats lapidés ont fini par tirer, c’est sans son ordre. — Ib. Lettre de M. d’Antheman, 17 avril, de M. de Barentin, 11 juin.


  la révolution. i.
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