Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 3, 1909.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
29
L’ANARCHIE SPONTANÉE


vivres, et, sur son refus, « ils ouvrent la fenêtre en disant : Nous le tenons, il n’y a que le jeter dans la rue, les autres le ramasseront ». Force est de céder ; l’arrêté est proclamé par les trompettes de la ville, et, à chaque article taxé, la foule crie : « Vive le roi et M. de Barras ! » — Devant la force brutale il a fallu plier. Seulement l’embarras est grand ; car, par la suppression du piquet, les villes n’ont plus de revenu, et d’autre part, comme elles sont obligées d’indemniser les boulangers et les bouchers, Toulon, par exemple, s’endette de 2500 livres par jour.

Dans ce désordre, malheur à ceux que l’on soupçonne d’avoir contribué de loin ou de près aux maux du peuple. À Toulon, on demande les têtes du maire qui signait les taxes et de l’archiviste qui gardait les rôles ; ils sont foulés aux pieds et leurs maisons dévastées. — À Manosque, l’évêque de Sisteron qui visitait le séminaire est accusé de favoriser un accapareur. Comme il rejoignait pied son carrosse, il est hué, menacé ; on lui jette de la boue, puis des pierres. Les consuls en chaperon et le subdélégué, qui accourent pour le protéger, sont meurtris, repoussés. Cependant quelques furieux, sous ses yeux, commencent « à creuser une fosse pour l’enterrer ». Défendu par cinq ou six braves gens, il arrive jusqu’à sa voiture à travers une grêle de cailloux, blessé à la tête, en plusieurs endroits du corps, et il n’est sauvé que parce que ses chevaux, lapidés eux-mêmes, prennent le mors aux dents. Des étrangers, des Italiens, des bandits se sont mêlés aux paysans et aux