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L’ANARCHIE SPONTANÉE


laquelle l’avidité prend la pauvreté pour complice. À la récolte prochaine, la tentation sera pareille : « Ils nous ont menacés de venir faire notre moisson, et aussi de piller nos bestiaux et d’en vendre la viande dans les villages à raison de 2 sous la livre ». — Dans toutes les grosses insurrections il y a des malfaiteurs semblables, gens sans aveu, ennemis de la loi, rôdeurs sauvages et désespérés, qui, comme des loups, accourent partout où ils flairent une proie. Ce sont eux qui servent de guides et d’exécuteurs aux rancunes privées ou publiques. Près d’Uzès, vingt-cinq hommes masqués, avec des fusils et des bâtons, entrent chez un notaire, lui tirent un coup de pistolet, l’assomment de coups, dévastent sa maison, brûlent ses registres, avec les titres et papiers qu’il garde en dépôt pour le comte de Rouvres ; sept sont arrêtés, mais le peuple est pour eux, se jette sur la maréchaussée et les délivre[1]. — On les reconnaît à leurs actes, au besoin de détruire pour détruire, à leur accent étranger, à leurs figures sauvages, à leurs guenilles. Il en vient de Paris à Rouen, et, pendant quatre jours, la ville est à leur discrétion[2] ; les magasins sont forcés, les couvents et séminaires rançonnés ; ils envahissent la maison du procureur général qui a requis contre eux et ils veulent le mettre en pièces ; ils brisent ses glaces, ses meubles, sortent chargés de butin, vont dans la ville et la banlieue piller les manufactures, casser ou brûler

  1. Archives nationales, H, 1453. Lettre du comte de Périgord, commandant militaire du Languedoc, 22 avril.
  2. Floquet, VII, 511 (du 11 au 14 juillet).