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L’ANARCHIE SPONTANÉE


sauve en emportant son butin. — Parfois, c’est partie liée et d’avance[1]. À Bray-sur-Seine, le 1er mai, les villageois de quatre lieues à la ronde, armés de pierres, de couteaux, de bâtons, et au nombre de quatre mille, forcent les laboureurs et fermiers qui ont apporté des grains, à les vendre 3 livres au lieu de 4 livres 10 sous le boisseau et menacent de recommencer au marché suivant : les fermiers ne reviendront pas, la halle sera vide, il faut des soldats, sinon les habitants de Bray seront pillés. À Bagnols, en Languedoc, le 1er et le 2 avril, les paysans, munis de bâtons et assemblés au son du tambour, « parcourent la ville en menaçant de tout mettre à feu et à sang, si on ne leur donne du blé et de l’argent » ; ils vont chercher du grain chez les particuliers, ils se le partagent à prix réduit, « avec promesse de le payer à la récolte prochaine », ils forcent les consuls à mettre le pain à 2 sous la livre et à augmenter de 4 sous la journée de travail. — Aussi bien, tel est le procédé le plus fréquent : ce n’est plus le peuple qui obéit aux autorités, ce sont les autorités qui obéissent au peuple. Consuls, échevins, maires, procureurs-syndics, les officiers municipaux se troublent et faiblissent devant la clameur immense ; ils sentent qu’ils vont être foulés aux pieds ou jetés par la fenêtre. — D’autres, plus fermes, comprennent qu’une foule ameutée est folle, et se font scrupule de verser le sang ; du moins ils cèdent pour

  1. Archives nationales, H, 1453. Lettre du duc de Mortemart, seigneur de Bray, 4 mai ; de M. de Ballainvilliers, intendant du Languedoc, 15 avril.


  la révolution. i.
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