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LA RÉVOLUTION


deviennent citoyens, il faut leur ôter tout centre de ralliement qui ferait concurrence à l’État, et donnerait aux uns quelque avantage sur les autres. — En conséquence, on a tranché toutes les attaches naturelles ou acquises par lesquelles la géographie, le climat, l’histoire, la profession, le métier, les unissaient. On a supprimé les anciennes provinces, les anciens états provinciaux, les anciennes administrations municipales, les parlements, les jurandes et les maîtrises. On a dispersé les groupes les plus spontanés, ceux que forme la communauté d’état, et l’on a pourvu par les interdictions les plus expresses, les plus étendues et les plus précises, à ce que jamais, sous aucun prétexte, ils ne puissent se refaire[1]. On a découpé la France géométriquement comme un damier, et, dans ces cadres improvisés qui seront longtemps factices, on n’a laissé subsister que des individus isolés et juxtaposés. Ce n’est pas pour épargner les corps organisés où la cohésion est étroite, et notamment le clergé.

« Des sociétés particulières, dit Mirabeau[2], placées dans la société générale, rompent l’unité de ses prin-

  1. Duvergier, décret des 14-17 juin 1791. « L’anéantissement de toutes les espèces de corporations des citoyens de même état et profession étant une des bases de la Constitution française, il est défendu de les rétablir de fait, sous quelque prétexte et quelque forme que ce soit. Les citoyens d’un même état ou profession, les entrepreneurs, ceux qui ont boutique ouverte, les ouvriers et compagnons d’un art quelconque, ne pourront, lorsqu’ils se trouveront ensemble, nommer ni président, ni secrétaire, ni syndics, prendre des arrêtés ou délibérations, former des règlements sur leurs prétendus intérêts communs. »
  2. Moniteur, séance du 2 novembre 1789.