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L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


qui lui bouche les oreilles, ce n’est pas la détresse du trésor. Au nom du clergé, l’archevêque d’Aix, M. de Boisgelin, a offert de solder à l’instant les trois cent soixante millions de dette exigible, au moyen d’un emprunt hypothécaire de quatre cents millions sur les biens ecclésiastiques ; et l’expédient est très bon, car en ce temps-là le crédit du clergé est le seul solide : d’ordinaire, il emprunte à moins de 5 pour 100, et on lui a toujours apporté plus d’argent qu’il n’en demandait, tandis que l’État emprunte à 10 pour 100, et, en ce moment même, ne trouve plus de prêteurs. — Mais, pour nos politiques nouveaux, il s’agit bien moins de combler le déficit que d’appliquer un principe. Conformément au Contrat social, ils établissent en maxime que dans l’État il ne faut pas de corps ; rien que l’État, dépositaire de tous les pouvoirs publics, et une poussière d’individus désagrégés ; nulle société particulière, nul groupement partiel, nulle corporation collatérale, même pour remplir un office que l’État ne remplit pas. « Dès qu’on entre dans une corporation, dit un orateur[1], il faut l’aimer comme une famille ; » or l’État doit garder le monopole de toutes les affections et de toutes les obéissances. D’ailleurs, sitôt qu’on fait partie d’un ordre, on reçoit de lui un appui distinct, et toute distinction est contraire à l’égalité civile. C’est pourquoi, si l’on veut que les hommes restent égaux et

  1. Moniteur, séance du 21 octobre 1789 (Discours de Dupont de Nemours). — Tous ces discours se trouvent, parfois avec plus de développement et des variantes de rédaction, dans les Archives parlementaires, 1re  série, tomes VIII et IX.