Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 3, 1909.djvu/272

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
256
LA RÉVOLUTION


rien devoir aux caprices de la faveur royale ou populaire, se maintenir debout contre le pouvoir établi ou contre l’opinion régnante en leur montrant autour de lui tout un corps rallié par l’esprit de corps. Tel aujourd’hui un professeur à Oxford, à Gœttingue, à Harvard. Tel, sous l’ancien régime, un évêque, un parlementaire, et même un simple procureur. Rien de pis que la bureaucratie universelle, puisqu’elle produit la servilité uniforme et mécanique. Il ne faut pas que les serviteurs du public soient tous des commis du gouvernement, et, dans un pays où l’aristocratie a péri, les corps sont le dernier asile. — En troisième lieu, par leur institution, il se forme, au milieu du grand monde banal, de petits mondes originaux et distincts, où beaucoup d’âmes trouvent la seule vie qui leur convienne. S’ils sont religieux et laborieux, non seulement ils offrent un débouché à des besoins profonds de conscience, d’imagination, d’activité et de discipline, mais encore ils les endiguent et les dirigent dans un canal dont la structure est un chef-d’œuvre et dont les bienfaits sont infinis. De cette façon, avec le moins de dépense possible et avec le plus d’effet possible, cent mille personnes, hommes et femmes, exécutent volontairement et gratuitement les moins attrayantes ou les plus rebutantes des besognes sociales, et sont, dans la société humaine, ce que les neutres sont parmi les fourmis.

Ainsi, dans son fond, l’institution était bonne, et, si l’on y portait le fer, il fallait au moins, en retranchant la portion inerte ou gâtée, conserver la portion vivante