Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 3, 1909.djvu/265

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
249
L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


« promettre en réclamant pour nous la protection des lois. Il suffit d’être désigné comme aristocrate pour n’avoir plus de sûreté. Si nos paysans, en général, ont conservé plus de probité, d’égards et d’attachement pour nous, chaque bourgeois important, des clubistes effrénés, les plus vils des hommes qui souillent l’uniforme, s’arrogent le privilège de nous insulter ; ces misérables sont impunis, protégés. Notre religion même n’est pas libre, et l’un de nous a vu sa maison saccagée pour avoir donné l’hospitalité à un curé octogénaire de sa paroisse, qui a refusé de prêter le serment. Voilà notre destinée ; nous ne serons pas assez infâmes pour la supporter. C’est de la loi naturelle et non des décrets de l’Assemblée nationale que nous tenons le droit de résister à l’oppression. Nous partons, nous mourrons, s’il le faut. Mais vivre sous une anarchie aussi atroce ! Si elle n’est pas détruite, nous ne remettrons jamais les pieds en France. »

L’opération a réussi. Par ses décrets et par ses institutions, par les lois qu’elle édicte et par les violences qu’elle tolère, l’Assemblée a déraciné l’aristocratie et la jette hors du territoire. Privilégiés à rebours, les nobles ne peuvent rester dans un pays où, en respectant la loi, ils sont effectivement hors la loi. — Les premiers qui ont émigré, le 15 juillet 1789, avec le prince de Condé, avaient reçu la veille à domicile une liste de proscription où ils étaient inscrits, et où l’on promettait récompense à qui apporterait leurs têtes au Caveau du Palais-Royal. — D’autres, plus nombreux, sont partis après les attentats