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L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


suffisante ; aggravons-la par la pratique, et, puisqu’ils regimbent contre le niveau, tâchons de les courber sous le joug.

En effet, la persécution illégale précède la persécution légale, et le privilégié qui, par les nouveaux décrets, semble seulement ramené sous le droit commun, se trouve en fait relégué hors du droit commun. Le roi désarmé ne peut plus le protéger ; l’Assemblée partiale rebute ses plaintes ; le Comité des recherches voit en lui un coupable, lorsqu’il n’est qu’un opprimé. Son revenu, ses biens, son repos, sa liberté, son toit domestique, sa vie, la vie de sa femme et de ses enfants, sont aux mains d’administrations élues par la foule, dirigées par les clubs, intimidées ou violentées par l’émeute. Il est chassé des élections ; les journaux le dénoncent ; il subit des visites domiciliaires. En cent endroits, son château est saccagé ; les assassins et les incendiaires, qui en sortent les bras sanglants ou les mains pleines, ne sont pas recherchés ou sont couverts par les amnisties[1] ; des précédents multipliés établissent qu’on peut impunément lui courir sus. Pour l’empêcher de se défendre, la garde nationale en corps vient saisir ses armes : il faut qu’il soit une proie, une proie facile, et comme un gibier réservé dans son enclos pour le prochain jour de chasse. — En vain il s’abstient de toute provocation et se réduit au rôle de particulier paisible. En vain il supporte avec patience nombre de provocations, et ne résiste qu’aux dernières violences. J’ai lu en original plusieurs

  1. Voir plus loin, t. IV, liv. III, ch. iii.