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LA RÉVOLUTION


passent ainsi, par un cadeau ou par une tolérance de l’Assemblée nationale, de la main des créanciers dans la main des débiteurs ; ajoutez-y une somme égale pour le revenu et pour le capital de la dîme supprimée gratuitement et du même coup. — C’est le commencement de la grande opération révolutionnaire, je veux dire de la banqueroute universelle qui, directement ou indirectement, va détruire en France tous les contrats et abolir toutes les dettes. On ne tranche pas impunément dans la propriété, surtout dans la propriété privée. L’Assemblée n’a voulu couper que la branche féodale ; mais, en admettant que l’État peut annuler sans compensation des obligations qu’il a garanties, elle a porté la hache au tronc de l’arbre, et d’autres mains plus grossières l’y enfoncent déjà de toute la longueur du fer.

Il ne reste plus au noble que son titre, son nom de terre et ses armoiries, distinctions bien innocentes, puisqu’elles ne lui confèrent aucune juridiction ni prééminence et que, la loi cessant de les protéger, le premier venu peut s’en parer impunément. D’ailleurs, non seulement elles ne sont pas nuisibles, mais encore elles sont respectables. Pour beaucoup de nobles, le nom de terre a recouvert le nom de famille, et le premier est seul en usage. Si on lui substitue le second, on gêne le public qui a de la peine à retrouver M. de Mirabeau, M. de la Fayette, M. de Montmorency sous les noms nouveaux de M. Riqueti, M. Motier, M. Bouchard ; et, de plus, on nuit au porteur lui-même pour qui le nom aboli est une propriété toujours légitime, souvent pré-