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LA RÉVOLUTION


contestation, d’envoyer les parties devant les tribunaux. Il réfléchira que des paysans, solidaires d’une même dette, auront de la peine à s’entendre, qu’un procès leur fera peur, qu’étant ignorants ils ne sauront comment s’y prendre, qu’étant pauvres ils ne pourront payer, que, sous le poids de leur discorde, de leur défiance, de leur indigence, de leur inertie, la nouvelle loi restera lettre morte et ne fera qu’exaspérer leurs convoitises ou allumer leurs ressentiments. Pour prévenir le désordre, il leur viendra en aide ; il interposera entre eux et le seigneur des commissions arbitrales ; il substituera au remboursement subit et total une échelle d’annuités ; il leur prêtera le capital qu’ils ne pourraient emprunter ailleurs ; il établira à cet effet une banque, des titres, une procédure. Bref, comme la Savoie en 1771, comme l’Angleterre en 1845[1], comme la Russie en 1861, il soulagera les pauvres sans dépouiller les riches ; il fondera la liberté sans violer la propriété ; il conciliera les intérêts et les classes ; il ne lâchera pas la jacquerie brutale pour exécuter la confiscation injuste, et terminera le conflit social, non par la guerre, mais par la paix.

Tout au rebours en 1789. Conformément aux doctrines du Contrat social, on pose en principe que tout homme naît libre et que sa liberté a toujours été inaliénable. Si jadis il s’est soumis à l’esclavage ou au servage, c’est le couteau sur la gorge ; un tel contrat est nul par essence. Tant pis pour ceux qui jouissent aujourd’hui ; ils sont les détenteurs d’un bien volé et doi-

  1. Cf. Doniol, La Révolution et la féodalité.