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L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


plusieurs resteront tels jusque sous le couteau de la guillotine. En particulier, les magistrats des cours souveraines se trouvaient, par institution et par tradition, ennemis des grosses dépenses et critiques des actes arbitraires. Quant aux gentilshommes de province, « on était, dit l’un d’eux[1], si las de la Cour et des ministres, que la plupart étaient démocrates ». Depuis plusieurs années, aux assemblées provinciales, la haute classe tout entière, clergé, noblesse et Tiers-État, faisait preuve de bonne volonté, d’application, de capacité, de générosité même, et sa façon d’étudier, de discuter, de distribuer un budget local, indique ce qu’elle aurait fait du budget général, s’il lui eût été remis. Évidemment, elle aurait défendu le contribuable français avec autant de zèle que le contribuable de sa province, et surveillé la bourse publique aussi attentivement à Paris qu’à Bourges ou à Montauban. — Ainsi les matériaux d’une bonne Chambre haute étaient tout prêts ; on n’avait plus qu’à les assembler. Au contact des faits, ses membres passaient sans difficulté de la théorie hasardeuse à la pratique raisonnable, et l’aristocratie qui, dans ses salons, avait lancé la réforme avec enthousiasme, allant, selon toute vraisemblance, la conduire avec efficacité et avec mesure dans le Parlement.

Par malheur, l’Assemblée ne constitue pas pour les Français contemporains, mais pour des êtres abstraits. Au lieu de classes superposées, elle ne voit dans la société que des individus juxtaposés, et ce qui fixe ses

  1. Ferrières, I, 2.