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LA RÉVOLUTION


ment les vieilles, mais encore les jeunes, restent stériles. Sitôt qu’un rameau vigoureux dépasse les autres et atteint la cime, il cesse de porter fruit. Ainsi l’élite de la nation est condamnée à l’avortement incessant et irrémédiable, faute de rencontrer le débouché qui lui convient. Il ne lui faut que celui-là ; car, dans toutes les autres directions, ses rivaux, nés au-dessous d’elle, peuvent servir aussi utilement et aussi bien qu’elle-même. Mais il lui faut celui-là ; car de ce côté ses aptitudes sont supérieures, naturelles, spéciales, et l’État qui lui refuse l’air ressemble à un jardinier niveleur qui, par amour des surfaces planes, étiolerait ses plus belles pousses. — C’est pourquoi, dans les constitutions qui veulent utiliser les forces permanentes de la société et néanmoins maintenir l’égalité civile, on appelle l’aristocratie aux affaires par la durée et la gratuité du mandat, par l’institution d’une Chambre héréditaire, par l’application de divers mécanismes, tous combinés de façon à développer dans la haute classe l’ambition, l’éducation, la capacité politiques, et à lui remettre le pouvoir ou le contrôle du pouvoir, à condition qu’elle se montre digne de l’exercer. — Or, en 1789, la haute classe n’en était pas indigne. Parlementaires, grands seigneurs, évêques, financiers, c’est chez eux et par eux que la philosophie du dix-huitième siècle s’était propagée ; jamais l’aristocratie ne fut plus libérale, plus humaine, plus convertie aux réformes utiles[1] ;

  1. L’Ancien régime, t. II, 149 et suivantes. — Le Duc de Broglie, par M. Guizot, 11. (Dernières paroles du prince Victor de Broglie, et opinions de M. d’Argenson.)