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LA RÉVOLUTION


plus de chance qu’un plébéien pauvre de bien entendre les affaires publiques. Car le savoir dont il a besoin n’est point cette érudition que l’on acquiert aux bibliothèques et par l’étude solitaire ; ce qu’il doit connaître, ce sont des hommes vivants, bien plus des agglomérations d’hommes, bien mieux encore des organismes humains, des États, des gouvernements, des partis, des administrations, chez soi et à l’étranger, en exercice et sur place. Pour y parvenir, il n’y a qu’un moyen, c’est de les voir soi-même et par ses yeux, à la fois de haut et en détail, par la fréquentation des chefs de service, des hommes éminents et spéciaux en qui se concentrent les informations et les vues de tout un groupe. Or, si l’on est jeune, on ne fréquente ces gens-la, chez soi et à l’étranger, qu’à condition d’avoir un nom, une famille, de la fortune, l’éducation et les façons du monde. Il faut tout cela pour trouver à vingt ans les portes ouvertes, pour entrer de plain-pied dans tous les salons, pour être en état de parler et d’écrire trois ou quatre langues vivantes, de prolonger à l’étranger des séjours dispendieux et instructifs, de choisir et varier son stage dans les divers départements des affaires, gratuitement ou à peu près, sans autre intérêt que celui de sa culture politique. Ainsi élevé, un homme, même ordinaire, vaut la peine d’être consulté. S’il est supérieur et si on l’emploie, il peut avant trente ans être homme d’État, acquérir la capacité complète, devenir le ministre dirigeant, le pilote unique, seul capable, comme Pitt, Canning et Peel, de trouver la passe