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L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


tout son être moral et physique sont des produits auxquels la communauté a contribué de près ou de loin, au moins comme tutrice et gardienne. À ce titre elle est sa créancière, comme un père nécessiteux l’est de son fils valide ; elle a droit à des aliments, à des services, et, dans toutes les forces ou ressources dont il dispose, elle revendique justement une part. — Il le sait, il le sent ; l’idée de la patrie s’est déposée en lui à de grandes profondeurs, et jaillira à l’occasion en passions ardentes, en sacrifices prolongés, en volontés héroïques. — Voilà les vrais Français, et l’on voit tout de suite combien ils diffèrent des monades simples, indiscernables, détachées, que les philosophes s’obstinent à leur substituer. Ils n’ont pas à créer leur association : elle existe ; depuis huit siècles, il y a chez eux une chose publique. Le salut et la prospérité de cette chose, tel est leur intérêt, leur besoin, leur devoir et même leur volonté intime. Si l’on peut ici parler d’un contrat, leur quasi-contrat est fait, conclu d’avance. À tout le moins, un premier article y est stipulé et domine tous les autres. Il faut que l’État ne se dissolve pas. Partant il faut qu’il y ait des pouvoirs publics. Il faut qu’ils soient obéis. Il faut, s’ils sont plusieurs, qu’ils soient définis et pondérés de manière à s’entr’aider par leur concert, au lieu de s’annuler par leur opposition. Il faut que le régime adopté remette les affaires aux mains les plus capables de les bien conduire. Il faut que la loi n’ait pas pour objet l’avantage de la minorité, ni de la majorité, mais de la communauté tout entière.