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LA RÉVOLUTION


l’assentiment des États. Or, dans les trois Chambres que formaient dorénavant les trois ordres, il y en avait deux où les roturiers prédominaient. De plus, l’opinion publique était pour eux, et le roi, vrai monarque constitutionnel, bien loin d’avoir la raideur impérieuse d’un despote, n’avait pas même l’initiative d’un homme ordinaire. Ainsi la prépondérance passait aux Communes, et légalement, sans secousses, elles pouvaient exécuter, multiplier, achever, d’accord avec le prince et par ses mains, toutes les réformes utiles[1]. — C’était assez ; car une société humaine, comme un corps vivant, tombe en convulsions quand on pratique sur elle des opérations trop grandes ; et celles-ci, quoique limitées, étaient probablement tout ce que la France, en 1789, pouvait supporter. Répartir équitablement et à nouveau tout l’impôt direct ou indirect, remanier, refondre et reporter aux frontières tous les tarifs de douanes, supprimer, par des transactions et avec indemnité, les droits féodaux et ecclésiastiques, l’opération était immense, aussi complexe que délicate. On ne pouvait la mener à bien qu’à force d’enquêtes minutieuses, de calculs vérifiés, de tâtonnements prolongés et de concessions mutuelles : de nos jours, en Angleterre, il a fallu un quart de siècle pour en accomplir une moindre, la transformation des dîmes et des droits de manoir, et

  1. Dumont, 267. (Paroles de Mirabeau, trois mois avant sa mort) : « Ah ! mon ami, que nous avions raison quand nous avons voulu, dès le commencement, empêcher les Communes de se déclarer Assemblée nationale ! C’est là l’origine du mal. Ils ont voulu gouverner le roi, au lieu de gouverner par lui. »