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L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


qui entreprendront d’en corriger le mécanisme pour en modérer les chocs. Mais cette source d’instruction et de raison à laquelle ils viendront puiser un instant, malgré eux et trop tard, ils se la sont fermée dès l’origine. Le 6 novembre 1789, par respect des principes et par crainte de la corruption, l’Assemblée a déclaré qu’aucun de ses membres ne pourrait devenir ministre. La voilà privée de tous les enseignements que fournit le maniement direct des choses, livrée sans contrepoids à tous les entraînements de la théorie, réduite par son propre arrêt à n’être qu’une académie de législation.

Bien pis, et par un autre effet de la même faute, elle s’est condamnée aux transes perpétuelles. Car, ayant laissé entre des mains tièdes ou suspectes ce pouvoir qu’elle n’a pas voulu prendre, elle est toujours inquiète, et ses décrets portent l’empreinte uniforme, non seulement de l’ignorance volontaire où elle se confine, mais encore des craintes exagérées ou chimériques dans lesquelles elle vit. — Imaginez dans un navire une société d’avocats, littérateurs et autres passagers, qui, soutenus par une insurrection de l’équipage mal nourri, se sont arrogé l’autorité suprême, mais refusent de choisir parmi eux le pilote et l’officier de quart. L’ancien capitaine continue à les désigner ; par pudeur et comme il est bon homme, on lui a laissé son titre, et on le garde pour transmettre les ordres. Tant pis pour lui quand ces ordres sont absurdes ; s’il y résiste, une nouvelle émeute lui arrache son consentement, et, même quand ils sont inexécutables, il répond de leur exécution. Cependant,

  la révolution. i.
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