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LA RÉVOLUTION


lui donner ou lui rendre quelque lueur de bon sens. Car ses conducteurs, ayant en main le gouvernement, en deviennent responsables, et, lorsqu’ils proposent ou acceptent une loi, ils sont obligés d’en prévoir l’effet. Rarement un ministre de la guerre ou de la marine acceptera un code militaire qui établira la désobéissance permanente dans l’armée ou dans la flotte. Rarement un ministre des finances proposera des dépenses auxquelles les recettes ne peuvent suffire, ou un système de perception par lequel l’impôt ne rentrera pas. Placés au centre des informations, avertis jour par jour et en détail, entourés de conseillers experts et de commis spéciaux, les chefs de la majorité, qui deviennent ainsi les chefs de l’administration, passent tout de suite de la théorie à la pratique, et il faut que les fumées de la politique spéculative soient bien épaisses dans leur cervelle pour en exclure les lumières multipliées que l’expérience y darde à chaque instant. Mettez le théoricien le plus décidé à la barre d’un navire : quelle que soit la raideur de ses principes ou de ses préjugés, jamais, s’il n’est aveugle ou contraint par des aveugles, il ne s’obstinera à gouverner toujours à gauche ou toujours à droite. Effectivement, après le voyage de Varennes, lorsque l’Assemblée, maîtresse du pouvoir exécutif, commandera directement aux ministres, elle reconnaîtra elle-même que sa machine constitutionnelle ne fonctionne que pour détruire, et ce sont les principaux révolutionnaires, Barnave, Duport, les Lameth, Le Chapelier, Thouret[1],

  1. Malouet, II, 153.