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L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


« recommander aux départements », c’est-à-dire d’ameuter à leur retour, chez eux et contre eux, la jacquerie permanente de la province. — De tels procédés parlementaires, employés sans interruption et pendant vingt-neuf mois, finissent par faire leur effet. Beaucoup de faibles sont entraînés[1] ; même sur des caractères bien trempés, la crainte a des prises : tel qui marcherait au feu le front haut frémit à l’idée d’être traîné dans le ruisseau par la canaille ; toujours, sur des nerfs un peu délicats, la brutalité populaire exerce un ascendant physique. Le 12 juillet 1791[2], l’appel nominal décrété contre les absents montre que cent trente-deux députés ne siègent plus. Onze jours auparavant, parmi ceux qui siègent encore, deux cent soixante-dix ont déclaré qu’ils ne prendraient plus part aux délibérations. Ainsi, avant l’achèvement de la Constitution, toute l’opposition, plus de quatre cents membres, plus d’un tiers de l’Assemblée, est réduit à la fuite ou au silence. À force d’oppression, le parti révolutionnaire s’est débarrassé de toute résistance, et la violence, qui lui a donné l’empire dans la rue, lui donne l’empire dans le Parlement.

IV

Ordinairement, dans une assemblée toute-puissante, quand un parti prend l’ascendant et groupe autour de lui la majorité, il fournit le ministère, et cela suffit pour

  1. Malouet, II, 66. « Il n’y avait que ceux qui ne s’effrayaient ni des injures, ni des menaces, ni des voies de fait, qui pouvaient se montrer opposants. »
  2. Buchez et Roux, X, 432, 465.