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LA RÉVOLUTION


pille, on incendie et on tue, vient déclarer, au nom du comité de féodalité[1], « qu’il faut présenter au peuple une loi dont la justice force au silence l’égoïste feudataire qui, depuis six mois, crie si indécemment à la spoliation, et dont la sagesse puisse ramener à son devoir le colon que le ressentiment d’une longue oppression a pu égarer un moment ». — Et si un jour, à la fin de leur session, le patriarche survivant du parti philosophique, Raynal, porte par surprise la vérité jusqu’à leur tribune, ils s’indignent de sa sincérité comme d’un attentat, ils ne l’excusent qu’à titre d’imbécile. Un législateur omnipotent ne peut pas se déjuger ; il est condamné, comme un roi, à l’admiration publique de soi-même. « Il n’y avait point parmi nous, dit un témoin, trente députés qui pensassent autrement que Raynal », mais, « en présence les uns des autres, l’honneur de la Révolution, la perspective de ses avantages était un point de dogme auquel il fallait croire » ; et, contre leur raison, contre leur conscience, les modérés, captifs dans le réseau de leurs propres actes, se joignent aux révolutionnaires pour achever la Révolution.

S’ils refusaient, ils seraient contraints. Car, pour s’emparer du pouvoir, l’Assemblée a dès l’abord toléré ou sollicité les coups de main de la rue. Mais, en prenant les émeutiers pour alliés, elle se les est donnés pour maîtres, et désormais, à Paris comme en province, la force illégale et brutale est le principal pouvoir de

  1. Rapport de Merlin de Douai, 8 février 1790, p. 2. — Malouet, II, 51.