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L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


prévenus, sans autre information que quelques formules de la philosophie courante, sans autre fil conducteur que la logique pure, livrés aux déclamations des avocats, aux vociférations des gazettes, aux suggestions de leur amour-propre, aux cent mille voix qui de tous côtés, à la barre de l’Assemblée, à la tribune, dans les clubs, dans la rue, dans leur propre cœur, leur répètent unanimement tous les jours la même flatterie : « Vous êtes souverains et tout-puissants. En vous seuls réside le droit. Le Roi n’est là que pour exécuter vos volontés. Tout ordre, corporation, pouvoir, association civile ou ecclésiastique, est illégitime et nul, dès que vous l’avez déclaré tel ; vous pourriez même changer la religion. Vous êtes les pères de la patrie. Vous avez sauvé la France, vous régénérez l’espèce humaine. Le monde entier vous admire ; achevez votre glorieux ouvrage, allez plus loin et tous les jours plus loin. » Contre ce flot de séductions et de sollicitations, un bon sens supérieur et des convictions enracinées peuvent seuls tenir ferme ; mais les hommes ordinaires et indécis sont entraînés. Dans le concert des acclamations qui s’élèvent, ils n’entendent pas le fracas des ruines qu’ils font. À tout le moins, ils se bouchent les oreilles, ils se dérobent aux cris des opprimés ; ils refusent d’admettre que leur œuvre ait pu être malfaisante, ils acceptent les sophismes et les mensonges qui la justifient ; ils souffrent que, pour excuser les assassins, on calomnie les assassinés ; ils écoutent Merlin de Douai qui, après trois ou quatre jacqueries, lorsque dans toutes les provinces on