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L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


jamais que les gens qui parlent sont là pour régler des affaires réelles. De discours en discours, les enfilades d’abstractions creuses se prolongent et se renouvellent à l’infini, comme dans une conférence d’écoliers de rhétorique qui s’exercent, ou dans une société de vieux lettrés qui s’amusent. Sur la question du veto, « chaque orateur vient tour à tour armé de son cahier, lit une dissertation qui n’a aucun rapport » avec la précédente, et cela fait « une espèce de séance académique[1] », un défilé de brochures qui recommence tous les jours pendant plusieurs jours. Sur la question des Droits de l’homme, cinquante-quatre orateurs sont inscrits : « Je me rappelle, dit Dumont, cette longue discussion, qui dura des semaines, comme un temps d’ennui mortel : vaines disputes de mots, fatras métaphysique, bavardage assommant ; l’Assemblée s’était convertie en école de Sorbonne », et cela pendant que les châteaux brûlaient, que les hôtels de ville étaient saccagés, que les tribunaux n’osaient plus siéger, que le blé ne circulait plus, que la société se décomposait : de même les théologiens du Bas-Empire avec leurs disputes sur la lumière incréée du Mont-Thabor, pendant que Mahomet II battait à coups de canon les murs de Constantinople. — Sans doute les nôtres sont d’autres hommes, jeunes de cœur, sincères, enthousiastes, généreux même, et de plus appliqués, laborieux, parfois doués de talents rares. Mais ni le zèle, ni le travail, ni le talent, ne sont utiles quand ils ne sont point employés pour une idée vraie ;

  1. Dumont, 138, 151.


  la révolution. i.
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