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LA RÉVOLUTION


viennent accomplir les prédictions, et les prédictions s’assombrissent. « C’est un vol d’oiseaux effarés[1] ; il est difficile de dire où ils se poseront, tant ils vont à la débandade… Ce malheureux pays, égaré à la poursuite de chimères métaphysiques, ne présente plus aux yeux de l’esprit qu’une vaste ruine… L’Assemblée, à la fois maîtresse et esclave, extravagante dans la théorie et novice dans la pratique, accaparant toutes les fonctions et incapable d’en exercer une seule, a délivré ce peuple farouche et féroce de tous les freins de la religion et du respect… Un tel état de choses ne peut durer… La glorieuse occasion est perdue, et, pour cette fois du moins, la Révolution est manquée. » — Par les réponses de Washington, on voit que son impression est pareille. De l’autre côté du détroit, Pitt, le plus habile praticien, Burke, le plus profond théoricien de la liberté politique, portent le même jugement. Dès la fin de 1789 Pitt prononce que « les Français ont traversé la liberté ». Dès 1790, Burke, dans un livre qui est une prophétie en même temps qu’un chef-d’œuvre, montre du doigt, au terme de la Révolution, la dictature militaire, et « le plus absolu despotisme qui ait jamais paru sous le ciel ».

Rien n’y fait. Sauf dans le petit groupe impuissant qui entoure Malouet et Mounier, les avertissements de Morris, de Jefferson, de Romilly, de Dumont, de Mallet du Pan, d’Arthur Young, de Pitt, de Burke, de tous les hommes qui ont l’expérience des institutions libres, sont accueillis

  1. Morris, 24 janvier 1790 ; 22 novembre 1790.