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LA RÉVOLUTION


mandie, où le dernier traité de commerce a ruiné les manufactures de toiles et de passementeries, quarante mille ouvriers sont sans ouvrage ; dans nombre de paroisses[1], le quart des habitants mendie. Ici, « presque tous les habitants, sans en excepter les fermiers et les propriétaires, mangent du pain d’orge et boivent de l’eau » ; là, « bien des malheureux mangent du pain d’avoine, et d’autres du son mouillé, ce qui a causé la mort de plusieurs enfants ». — « Avant tout, écrit le parlement de Rouen, qu’on subvienne à un peuple qui se meurt… Sire, la majeure partie de vos sujets ne peut atteindre au prix du pain, et quel pain on donne à ceux qui en achètent ! » — Arthur Young[2], qui traverse la France en ce moment, n’entend parler que de la cherté du pain et de la détresse du peuple. À Troyes, le pain coûte 4 sous la livre, c’est-à-dire 8 sous d’aujourd’hui et les artisans sans travail affluent aux ateliers de charité, où ils ne gagnent que 12 sous par jour. En Lorraine, au témoignage de tous les observateurs, « le peuple est à moitié mort de faim ». À Paris, le nombre des indigents a triplé ; il y en a trente mille dans le faubourg Saint-Antoine. Autour de Paris, les grains manquent ou sont gâtés[3]. Au commencement de

  1. L’Ancien régime, II, 213, 294. — Floquet, Histoire du parlement de Normandie, VII, 505, 518. (Représentations du parlement de Normandie, 3 mai 1788 ; lettre du Parlement au roi, 13 juillet 1789.)
  2. Arthur Young, Voyages en France, 29 juin, 2 et 8 juillet. — Journal de Paris, 2 janvier 1789. Lettre du curé de Sainte-Marguerite.
  3. Buchez et Roux. IV, 79 à 82. (Lettre du bureau intermé-