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L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


« au milieu d’une délibération, un orateur se lève, fait un beau discours sur un sujet différent, et conclut par une bonne petite motion qui passe avec des hourras. Par exemple, pendant qu’ils discutaient un projet de banque nationale présenté par M. Necker, un député se mit dans la cervelle de proposer que chaque membre donnât ses boucles d’argent, ce qui fut adopté d’un seul coup, l’honorable député déposant les siennes sur la table, après quoi l’on revint aux affaires. » — Ainsi surexcités, ils ne savent pas le matin ce qu’ils feront le soir et sont à la merci de toutes les surprises. Quand l’enthousiasme les saisit, un vertige court sur les bancs : toute prudence est déconcertée, toute prévision disparaît, toute objection est étouffée. Dans la nuit du 4 août[1], « personne n’est plus maître de soi… l’Assemblée offre le spectacle d’une troupe de gens ivres qui, dans un magasin de meubles précieux, cassent et brisent à l’envi tout ce qui se trouve sous leurs mains ». — « Ce qui aurait demandé une année de soins et de méditations, dit un étranger compétent, fut proposé, délibéré et voté par acclamation générale. L’abolition des droits féodaux, de la dîme, des privilèges des provinces, trois articles qui, à eux seuls, embrassaient tout un système de jurisprudence et de politique, furent décidés, avec dix ou douze autres, en moins de temps qu’il n’en faut au parlement d’Angleterre pour la première lecture d’un billet de quelque importance. » — « Voilà bien nos Fran-

  1. Ferrières. I, 189. — Dumont, 146.