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LA RÉVOLUTION


chef, d’après l’impulsion du moment, et l’on devine le pêle-mêle. Les étrangers qui en sont témoins lèvent les bras au ciel, de surprise et de pitié : « Ils ne discutent rien dans leur assemblée, écrit Gouverneur Morris[1] ; plus de la moitié du temps s’y dépense en acclamations et clabauderies. Chaque membre vient débiter le résultat de ses élucubrations », au milieu du bruit, à son tour d’inscription, sans répondre au précédent, sans que le suivant lui réponde, sans que jamais un argument vienne choquer un autre argument, de telle façon que la fusillade « est interminable, et que mille fois contre une tous les coups portent dans le vide ». Avant de transcrire « ce bavardage épouvantable », les journaux du temps ont dû y pratiquer des amputations de toute sorte, élaguer « les sottises », dégonfler « le style hydropique et boursouflé ». — Verbiage et clameurs, à cela se réduisent la plupart de ces séances fameuses. « On y entendait, dit un journaliste, des cris beaucoup plutôt que des discours ; elles paraissaient devoir se terminer par des combats plutôt que par des décrets… Vingt fois, en sortant, je me suis avoué que, si quelque chose pouvait arrêter et faire rétrograder la révolution, c’était le tableau de ces séances, retracé sans précaution et sans ménagement… Tous mes soins se portaient donc à représenter la vérité, mais sans la rendre effrayante. De ce qui n’avait été qu’un tumulte je faisais un

  1. Morris à Washington, 24 janvier 1790. — Dumont, 125. — Garat, lettre à Condorcet