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LA RÉVOLUTION


surexcitée, des attroupements qui le ramassaient comme une arme abandonnée dans la rue. En fait, il n’y avait plus de gouvernement ; l’édifice artificiel de la société humaine s’effondrait tout entier ; on rentrait dans l’état de nature. Ce n’était pas une révolution, mais une dissolution.

I

Deux causes excitent et entretiennent l’émeute universelle. La première est la disette, qui, permanente, prolongée pendant dix ans, et aggravée par les violences mêmes qu’elle provoque, va exagérer jusqu’à la folie toutes les passions populaires et changer en faux pas convulsifs toute la marche de la Révolution.

Quand un fleuve coule à pleins bords, il suffit d’une petite crue pour qu’il déborde. Telle est la misère au dix-huitième siècle. L’homme du peuple, qui vit avec peine quand le pain est à bon marché, se sent mourir quand il est cher. Sous cette angoisse, l’instinct animal se révolte, et l’obéissance générale, qui fait la paix publique, dépend d’un degré ajouté ou ôté au sec ou à l’humide, au froid ou au chaud. En 1788, année très sèche, la récolte avait été mauvaise ; par surcroît, à la veille de la moisson[1], une grêle effroyable s’abattit autour

  1. Marmontel, Mémoires, II, 221. — Albert Babeau, Histoire de Troyes pendant la Révolution, I, 91, 187 (Lettre de Huez, maire de Troyes, 30 juillet 1788). — Archives nationales, H, 1274 (Lettre de M. de Caraman, 22 avril 1789). H, 942 (Cahier des demandes des États du Languedoc). Buchez et Roux, Histoire parlementaire, I, 283.