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LA RÉVOLUTION


crient : « Où est cette sacrée coquine ? Il faut lui manger le cœur… Nous voulons lui couper sa tête, son cœur, et fricasser ses foies ». — Avec les premiers meurtres, l’appétit sanguinaire s’est éveillé ; des femmes, venues de Paris, disent « qu’elles ont apporté des baquets pour emporter les tronches des gardes du roi », et, sur ce mot, les autres battent des mains. Dans la cour de l’Assemblée nationale, des gens du peuple, examinant la corde de la lanterne et jugeant qu’elle est trop faible, veulent en mettre une autre « pour pendre l’archevêque de Paris, Maury, d’Esprémenil ». — La fureur meurtrière et carnassière pénètre jusque parmi les défenseurs attitrés de l’ordre, et l’on entend un garde national dire « qu’il faut tuer les gardes du corps jusqu’au dernier, leur arracher le cœur et déjeuner avec ».

À la fin, vers minuit, la garde nationale de Paris est arrivée ; mais elle apporte une émeute par-dessus l’émeute ; car, elle aussi, elle a violenté ses chefs[1]. « Si M. de la Fayette ne veut pas venir avec nous, dit un grenadier, nous prendrons un ancien grenadier pour nous commander. » Ceci arrêté, on est allé trouver le général à l’Hôtel de Ville, et les délégués de six compagnies lui ont intimé leurs ordres : « Mon général, nous ne vous croyons pas traître ; mais nous croyons que le gouvernement nous trahit… Le comité des subsistances nous trompe, il faut le renvoyer. Nous voulons

  1. Procédure criminelle du Châtelet. Dépositions 7, 30, 35, 40. — Cf. La Fayette. Mémoires, et Mme Campan, Mémoires,