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LA RÉVOLUTION


lignes de la Constitution, les axiomes abstraits de la vérité politique, sous la dictature d’une foule qui les extorque, non seulement en aveugle, mais encore avec une demi-conscience de son aveuglement : « Monsieur le président, disaient des femmes à Mounier qui leur rapportait la sanction royale, cela sera-t-il bien avantageux ? Cela fera-t-il avoir du pain aux pauvres gens de Paris ? »

Pendant ce temps, autour du château, l’écume a bouillonné, et les filles embauchées à Paris font leur métier[1] ; elles se faufilent, malgré la consigne, dans les rangs du régiment qui est en bataille sur la place. Théroigne, en veste rouge d’amazone, distribue de l’argent. Quelques-unes disent aux soldats : « Mettez-vous avec nous ; tout à l’heure nous battrons les gardes du roi ; nous aurons leurs beaux habits et nous les vendrons ». Les autres s’étalent, agaçant les soldats, s’offrant à eux, tellement que ceux-ci disent : « Nous allons avoir un plaisir de mâtin ». Avant la fin de la journée, le régiment est séduit ; elles ont opéré en conscience, pour le bon motif. Quand une idée politique pénètre en de tels cerveaux, au lieu de les ennoblir, elle s’y dégrade ; tout ce qu’elle y apporte, c’est le déchaînement des vices qu’un reste de pudeur y comprimait encore, et l’instinct de luxure ou de férocité se donne carrière sous le couvert de l’intérêt public. — D’ailleurs, les passions s’exaltent par leur contagion mutuelle, et

  1. Procédure criminelle du Châtelet. Dépositions 89, 91, 98. « Leur promettant tout, jusqu’à lever leurs jupes devant eux. »