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L’ANARCHIE SPONTANÉE


ayant été rendu, les meneurs demandent davantage ; il faut encore qu’on leur accorde d’entrer partout où ils soupçonneront des accaparements ; il faut aussi « qu’on taxe le pain à six sous les quatre livres, et la viande à six sous la livre ». — « N’imaginez pas que nous sommes des enfants qu’on joue : nous avons le bras levé, faites ce qu’on vous demande. » — De cette idée centrale partent toutes leurs injonctions politiques. Qu’on renvoie le régiment de Flandre ; ce sont mille hommes de plus à nourrir et qui nous ôtent le pain de la bouche. Punissez les aristocrates qui empêchent les boulangers de cuire. « À bas la calotte ! c’est tout le clergé qui fait notre mal. » — « Monsieur Mounier, pourquoi avez-vous défendu ce vilain veto ? Prenez bien garde à la lanterne. » — Sous cette pression, une députation de l’Assemblée, conduite par le président, se met en marche à pied, dans la boue, par la pluie, surveillée par une escorte hurlante de femmes et d’hommes à piques ; après cinq heures d’instances ou d’attente, elle arrache au roi, outre le décret sur les subsistances pour lequel il n’y avait pas de difficulté, l’acceptation pure et simple de la Déclaration des Droits et la sanction des articles constitutionnels. — Telle est l’indépendance de l’Assemblée et du roi[1]. C’est ainsi que s’établissent les principes du droit nouveau, les grandes

  1. Procédure criminelle du Châtelet. Déposition 168. Le témoin a vu sortir de la chambre du roi « plusieurs femmes habillées en poissardes, dont une, d’une jolie figure, qui tenait un papier à la main, et disait, en le montrant : Ha ! f…, nous avons forcé le bougre à sanctionner ».