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L’ANARCHIE SPONTANÉE


en habit bourgeois, qui se relayent : au préalable, ils ont demandé à leur député favori « à quelle heure il faut venir, si tout va bien, et si l’on est content des calotins et des aristocrates ». D’autres sont des femmes de la rue commandées par Théroigne de Méricourt, une virago courtisane, qui distribue les places et donne le signal des huées ou des battements de mains. Publiquement et en pleine séance, dans la délibération sur le veto, « les députés sont applaudis ou insultés par les galeries, selon qu’ils prononcent le mot suspensif ou le mot indéfini. Les menaces circulaient, dit l’un d’eux ; j’en ai entendu retentir autour de moi ». — Et ces menaces recommencent à la sortie : « Des valets chassés de chez leurs maîtres, des déserteurs, des femmes en haillons », promettent aux récalcitrants la lanterne, « et leur portent le poing sous le nez ». Dans la salle même », encore plus exactement qu’avant le 14 juillet, « on écrit leurs noms, et les listes, remises à la populace », vont au Palais-Royal, d’où les lettres et les gazettes les expédient en province[1]. Voilà la seconde contrainte : chaque député répond de son vote, à Paris sur sa vie, en province sur celle de sa famille. Des membres de l’ancien Tiers avouent qu’ils renoncent aux deux Chambres, parce qu’ils « ne veulent pas faire égorger leurs femmes et leurs enfants ». — Le 30 août,

  1. Procédure du Châtelet. Ib. Déposition de M. Malouet (n° 111). « Je recevais chaque jour, ainsi que MM. Lally et Mounier, des lettres anonymes et des listes de proscription où nous étions inscrits. Ces lettres annonçaient toutes une mort prompte et violente à tout député qui défendrait l’autorité royale. »