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L’ANARCHIE SPONTANÉE


enrayer, redescendre, et n’est-il pas visible qu’ils vont aider de toutes leurs forces au soulèvement qui les guinde vers les premiers sommets ? — D’ailleurs, à cette hauteur la tête tourne ; lancés en l’air à l’improviste et sentant qu’autour d’eux tout se renverse, ils s’exclament d’indignation et de terreur, ils voient partout des machinations, ils imaginent des cordes invisibles qui tirent en arrière, ils crient au peuple de les couper. De tout le poids de leur inexpérience, de leur incapacité, de leur imprévoyance, de leur peur, de leur crédulité, de leur entêtement dogmatique, ils poussent aux attentats populaires, et tous leurs articles ou discours peuvent se résumer en cette phrase : « Peuple, c’est-à-dire vous, les gens de la rue qui m’écoutez, vous avez des ennemis, la cour et les aristocrates ; et vous avez des commis, l’Hôtel de Ville et l’Assemblée nationale. Mettez la main, une main rude, sur vos ennemis pour les pendre, et sur vos commis pour les faire marcher. »

Desmoulins s’intitule « procureur général de la lanterne[1] », et, s’il regrette le meurtre de Foullon et de Bertier, c’est parce que « cette justice trop expéditive a laissé dépérir les preuves de la conspiration », ce qui a sauvé nombre de traîtres ; lui-même, il en nomme une vingtaine au hasard, et peu lui importe s’il se trompe. « Nous sommes dans les ténèbres ; il est bon que les chiens fidèles aboient même les passants, pour que les voleurs ne soient pas à craindre. » — Dès à

  1. Discours de la Lanterne, épigraphe de l’estampe.