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L’ANARCHIE SPONTANÉE


rassemblent dix-sept mille indigents, à la Halle où les boulangers veulent lanterner le commissaire des farines, aux portes des boulangers dont deux, le 14 septembre et le 5 octobre, sont conduits au réverbère et sauvés tout juste. — Dans cette foule souffrante et mendiante, les hommes d’exécution deviennent chaque jour plus nombreux ; ce sont les déserteurs, et, de chaque régiment, ils arrivent à Paris par bandes, parfois deux cent cinquante en un seul jour ; là, « caressés, fêtés à l’envi[1] », ayant reçu de l’Assemblée nationale cinquante livres par homme, maintenus par le roi dans la jouissance de leur prêt, régalés par les districts dont un seul doit 14 000 livres pour le vin et les cervelas qu’il leur a fournis, « ils se sont accoutumés à plus de dépense », à plus de licence, et leurs camarades les suivent. « Dans la nuit du 31 juillet, les gardes françaises de service à Versailles abandonnent la garde du roi, et se rendent à Paris, sans officiers, mais avec armes et bagages », afin « d’avoir part au traitement que la ville de Paris fait à leur régiment ». Au commencement de septembre, on comptait seize mille déserteurs de cette espèce[2]. Or,

  1. Mercure de France, 5 septembre 1789. — Horace Walpole’s Letters, 5 septembre 1789. — M. de la Fayette, Mémoires, I, 272. Dans la semaine qui suit le 14 juillet, 6000 soldats ont déserté et passé au peuple, outre 400 à 500 gardes suisses et six bataillons des gardes françaises qui restent sans officiers et font ce qu’ils veulent ; les vagabonds des villages voisins affluent ; il y a dans Paris plus de « 30 000 étrangers ou gens sans aveu. »
  2. Bailly, II, 282. La foule des déserteurs était si grande, que La Fayette fut obligé de mettre des postes aux barrières pour les empêcher d’entrer. « Sans cette précaution, toute l’armée y eût passé. »